Si ces mentions ne précisent pas ce que le gouvernement des États-Unis entend précisément par monnaie légale, elles nous disent en revanche que ce morceau de papier imprimé n’est pas le dollar des États-Unis mais donne droit à des dollars des États-Unis. Or, depuis 1934 [1], le dollar vaut officiellement 1/35ème d’once d’or et, en vertu des conventions de Bretton Woods, les banques centrales qui participent au système peuvent effectivement échanger leurs dollars contre de l’or physique à ce prix. C’est-à-dire que même si les citoyens américains n’ont pas le droit de détenir de l’or monétaire , ce billet est réputé être équivalent à environ 4,44 grammes d’or fin.
Considérez maintenant cette autre Federal Reserve Note de cinq dollars imprimée en 1963 (série 1963A).
Une partie du texte a disparu. On ne se propose plus de vous échanger ce billet contre des dollars : ce billet est devenu le dollar. Ces choses n’arrivent pas par hasard : huit ans avant le Nixon Shock, la rupture de la convertibilité-or du billet vert pointe déjà à l’horizon.
La balance des paiements
Le privilège « exorbitant » que détient celui qui contrôle la planche à billet du dollar dans le système de Bretton Woods, c’est qu’il peut imprimer autant de billets verts qu’il le souhaite pour financer ses importations ou accorder des crédits au reste du monde sans que sa monnaie ne se déprécie puisque, par construction, les parités sont fixes par rapport au dollar. C’est-à-dire que là où les autres banques centrales doivent défendre leurs devises et éventuellement dévaluer, la Federal Reserve, elle, n’a qu’une seule contrainte : préserver la valeur du dollar par rapport à l’or à raison de $35 l’once.
Ce privilège, les États-Unis vont l’utiliser tout au long des années 1950 et 60. Dans un premier temps, l’effort de reconstruction en Europe et les performances de l’appareil de production américain vont permettre aux États-Unis de maintenir une balance commerciale et un compte courant largement excédentaire – c’est-à-dire des dollars qui rentrent – qui vont leur permettre de devenir les principaux financiers de la planète – des dollars qui sortent. Mais dès 1950, les politiques expansionnistes et inflationnistes vont rompre l’équilibre : le dollar, notoirement surévalué, pèse sur les exportations américaines tandis qu’un certain nombre de participants au système de Bretton Woods (suivez mon regard) vont volontairement sous-évaluer leurs monnaies pour doper leurs exportations. Du coup, la balance des paiements américaine devient déficitaire.
C’est la récession de 1958 puis les élections présidentielles de 1961 qui vont mettre le problème en évidence. Sous l’effet de la crise, la balance des paiements se dégrade brutalement et la perspective d’une victoire possible de John F. Kennedy, qui promet un plan de relance et la lune, révèle les inquiétudes des marchés. En octobre 1960 (les élections ont lieu début novembre), l’or s’envole brutalement et va flirter avec les $40 sur le marché de Londres. On commence à douter sérieusement de la valeur du billet vert.
London Gold Pool
La Federal Reserve et la Bank of England parviennent à éteindre l’incendie en vendant une part substantielle de l’or de cette dernière sur le marché mais il apparait désormais clairement qu’il va falloir défendre la parité du dollar. C’est dans cette optique que va être créé, en novembre 1961, le London Gold Pool. Huit pays vont mettre sur la table pas moins de 240 tonnes d’or (270 millions de dollars au cours officiel) pour défendre le prix officiel du billet vert. Pratiquement, si le prix décroche une nouvelle fois, la Bank of England vendra son stock d’or pour faire remonter le dollar et se fera rembourser par les membres du pool.
Mais aux États-Unis, l’heure est au keynésianisme le plus débridé et à la dépense publique à tout crins : la Great Society de Lyndon B. Johnson prend le relais de la New Frontier de Kennedy, la guerre du Vietnam se vietanamise et le programme de conquête spatiale bat son plein (JFK leur avait promis la lune, les américains l’obtiennent le 21 juillet 1969). Bref, le déficit de la balance des paiements se dégrade à mesure que les réserves de change (en dollar) des autres pays membres du système de Bretton Woods s’accumulent.
Devant une telle gabegie et l’inflation du dollar, un certain nombre de dirigeants de l’époque commencent à douter de la capacité du London Gold Pool à maintenir le cours de l’or sous contrôle. Et pour cause : c’est cette année-là qu’il atteindra sa taille maximale avec 1,5 milliards de dollars – soit l’équivalent de 1 333 tonnes d’or – mobilisés par les huit partenaires. Progressivement, ils vont donc commencer à convertir leurs réserves de dollars en métal jaune à l’image de Charles de Gaulle [5] qui, début 1965, envoie la Marine nationale récupérer 133 tonnes d’or (i.e. 150 millions de dollars) dans les coffres souterrains de la Fed de New York.
Au total, les réserves d’or des États-Unis vont plonger de 653,1 millions d’once en 1957 à 311,2 millions en 1968 – une baisse de plus de 52% et de pratiquement 12 milliards de dollars au cours officiel – alors que la quantité de dollars en circulation ne cesse de gonfler. En juin 1967, la France quitte le pool ; le 18 novembre, le Royaume Uni est contraint de dévaluer la libre sterling de 14% ; en décembre, la panique gagne la Fed, on commence à parler de fermer les marchés de l’or et on se demande combien de temps l’Italie et la Belgique vont encore supporter les pertes générées par le pool.
Le 18 mars 1968, une nouvelle ruée sur l’or va finir par avoir raison du London Gold Pool : les marchés de l’or sont fermés (ils le resteront jusqu’au début du mois d’avril) et le Congrès des États-Unis annule l’obligation qui était faite à la Federal Reserve de maintenir une réserve d’or équivalente à 25% des dollars en circulation . À ce stade, le dernier cours connu de l’or est à $35,1988 l’once mais lorsque les marchés rouvrent plus personne ne croit plus en la parité officielle (tirets clairs).
À compter de ce 18 mars 1968, l’effondrement du système de Bretton Woods n’est plus qu’une question de temps. Le dollar est déjà une fiat money en ce sens que personne au monde n’était plus en mesure de garantir sa valeur. Le fait est que quand le gouvernement des États-Unis imprimait « In God We Trust » sur ses billets, ses lecteurs lisaient « In Gold We Trust ». Incidemment, certaines leçons importantes pour l’époque actuelle ce sont glissées dans ce bref exposé historique. Je laisse le soin à chacun de développer.
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